Du 14 au 16 juillet dernier, la ville d’Autun en Bourgogne a accueilli la deuxième édition d’un événement original : un festival dédié au journalisme et aux histoires vraies. Au programme de ces Rendez-Vous de Juillet, conférences, débats, projections, mais aussi (et peut-être même surtout !) rencontres et fêtes.

Il est 10h30, jeudi 13 juillet, quand je claque la porte d’entrée de mon immeuble avant d’entamer ma route direction la Gare Saint-Jean de Bordeaux. Ici commence la première étape d’un long trajet pour Autun, petite ville d’un peu moins de 15000 habitants, sous-préfecture de Saône-et-Loire, département de Bourgogne, et désormais de Bourgogne-Franche-Comté (cet article vous permet aussi de réviser votre géographie de cette zone inconnue pour les gens de l’Ouest, j’ai nommé l’Est). J’ai choisi de m’éviter la gageure d’une traversée horizontale du territoire francilien et de passer par Paris, où j’arrive à 13h, ce qui me laisse une heure pour me rendre à la Porte d’Orléans. Là, m’attendent la navette mise en place par le festival ainsi que Daria, mon acolyte bénévole du week-end, que je retrouve après quelques péripéties et non sans stress.
La première remarque que je me fais est qu’il y a du beau monde qui s’apprête à embarquer pour quatre heures de bus à travers la campagne française pour se rendre en « province » (sur l’échelle des mots que je déteste celui-ci se situe en bonne place). Les organisateurs de l’événement, des journalistes avec une certaine notoriété comme Sylvain Gire de Arte Radio ou Patrick de Saint-Exupéry, fondateur de la revue XXI qui est à l’origine du festival, mais aussi ses collègues, quelques intervenants, bénévoles et autres festivaliers. L’assemblée est en très grande majorité blanche, aisée, diplômée de l’enseignement supérieur, et certainement sensible au gluten, en tous cas bien plus que la population qui fréquente habituellement les trajets en bus, un peu comme vous et moi quoi. Enfin bref, tout ça pour dire que c’est parti pour trois jours de festivités, qu’on va essayer ici de vous raconter avec toute l’objectivité de notre subjectivité.
Histoire du festival
Le festival en est donc à sa deuxième édition, et pourtant il est difficile de s’en rendre compte d’un premier coup d’œil : changement de charte graphique, changement de nom, changement de lieu… Sans mentionner le fait qu’un nouveau festival reprend tous les éléments de l’édition précédente ! De quoi en laisser perplexe plus d’un.
Tout a commencé en juillet 2016 à Couthures-sur-Garonne, quand les équipes de rédaction des magazines 6 Mois et XXI (deux publications indépendantes dédiées au reportage au long cours, qui partagent les mêmes bureaux, mêmes éditions et plus ou moins la même équipe, l’une plutôt tournée vers la photo et l’autre vers l’écriture) décident de lancer un festival dédié au journalisme « vivant », c’est-à-dire IRL ou « In Real Life ».
Le principe organisationnel repose sur une répartition des tâches entre contenu et logistique, avec d’un côté une association locale qui s’occupe de gérer les infrastructures, à la fois salles de conférences, logements, scène, buvette, etc ; et de l’autre l’équipe du festival en elle-même, liée aux rédactions, qui se chargent de tout le contenu de l’événements : les invités, les sujets, la communication, et certainement bien d’autres éléments auxquels je ne pense pas là tout de suite. Cette combinaison de deux équipes, qui semble en effet le moyen le plus simple pour organiser un événement décentralisé par rapport à son équipe éditoriale, n’a pourtant pas satisfait les deux parties qui décident par la suite de se séparer.
Privée de son lieu, 6 Mois et XXI partent à la recherche d’une nouvelle terre d’accueil champêtre, alors que l’association locale, qui a eu la bonne idée de porter le nom du festival « Les Ateliers de Couthures » en appelle aux services d’une autre équipe éditoriale, en l’occurrence celle du groupe Le Monde. Toute cette histoire aurait pu n’être qu’un souvenir d’une expérience mitigée si ce nouveau festival, toujours organisé dans le petit village du Lot-et-Garonne, n’avait pas décidé de conserver le nom, le logo, la charte graphique et, finalement, toute l’histoire d’une première édition qui ne leur appartenait pas entièrement afin de promouvoir leur deuxième volet à travers une nouvelle campagne de financement participatif calquée sur le modèle de celle qui avait été réalisée l’année précédente ; les organisateurs ayant omis de préciser que XXI et 6 Mois, aux communautés de lecteurs solides, n’étaient plus de l’aventure.
Il y a donc pour résumer, un premier festival du journalisme vivant en 2016 : Les Ateliers de Couthures, organisé par 6 Mois et XXI.
Les Ateliers de Couthures (association locale en charge de la logistique, portant le même nom que le festival) et les magazines indépendants se séparent.
L’association décide de garder le même nom et d’organiser un nouveau festival, cette fois-ci avec Le Monde.
Donc la « véritable » deuxième édition du festival organisé en 2016 doit : changer de nom, d’identité, de lieu. Ce sera donc Les Rendez-Vous de Juillet, à Autun.
La confusion entre ces deux événements a été entretenue par l’association Les Ateliers de Couthures qui a voulu jouer sur l’engouement suscité par le festival de 2016, largement dû à l’implication de XXI et 6 Mois. Le public n’a pourtant pas été dupe : la campagne de financement participatif s’était fixée un objectif de 50 000 euros, avant d’être revue à la baisse quelques semaines plus tard, à 17 000 euros.
Les conférences
J’ai personnellement choisi de faire les 570 km qui séparent Bordeaux et Autun (à vol d’oiseau) (comptez un peu plus à vol de train) pour assister aux Rendez-Vous de Juillet, en tant que festivalière mais aussi en tant que bénévole comme j’y reviendrai par la suite. Je n’ai donc pas pu assister à autant de conférences que je le souhaitais, toutefois, les quelques-unes auxquelles j’ai pu prendre part m’ont, pour le coup, marquées.
Mon premier rendez-vous était avec Emilie Blachère, journaliste aujourd’hui pour Paris Match, qui revient sur le décès de son compagnon Rémi Ochlik, photographe, en Syrie. Son témoignage fait partie de la thématique « Après la bataille… » organisée par Mathilde Boussion et Anne Poiret, deux journalistes qui ont choisi de se spécialiser dans les sujets sur l’après-guerre, rarement évoqués dans les journaux télévisés du 20h. Elles interrogent leur invité sur cette période de sa vie, et, très courageusement, sans larme, mais avec franchise, elle nous parle de cet événement traumatisant, et de l’évolution de son engagement pour la justice internationale. En effet, Emilie Blachère ne s’est pas tout de suite sentie la légitimité ni même l’utilité de mener le combat de la justice : de par son deuil, d’abord, puis par le sentiment d’impuissance face à une guerre sans merci. Ce sentiment change quand elle enquête ensuite à la demande de Paris Match sur les « chasseurs de preuves », ces personnes qui, sur le terrain de guerres et de conflits, exfiltrent de leurs pays, non sans danger, des documents parfois confidentiels qui permettront plus tard d’engager des poursuites contre les responsables de crimes de guerre. Cette rencontre avec ces justiciers anonymes, puis avec Scott Gilmore, l’avocat américain en charge de l’enquête concernant la mort de Marie Colvin, survenue en même temps que celle de Rémi Ochlik, ont changé sa perception. Par ce travail d’investigation, elle retrace les dernières actions de son compagnon, et retrouve espoir qu’un jour les bourreaux de cette tragédie seront mis sur le banc des accusés.
Je change ensuite complètement de thématique en fin d’après-midi quand je me rends à l’atelier « Ils changent le travail ». Cette fois-ci, c’est Mathilde Ramadier, autrice du livre Bienvenue dans le nouveau monde, comment j’ai survécu à la coolitude des starts-ups qui vient nous parler de sa prise de conscience quant à cet univers bien particulier dont l’apanage peut se résumer à quelques mots : openspace, précarité et hypocrisie. S’il n’est pas question ici de critiquer individuellement toutes les start-ups, surtout dans le cadre de la Start-Up Nation que notre gouvernement tente de nous faire incarner, Mathilde Ramadier pose des questions intéressantes sur notre rapport à ce nouveau paradigme qui n’a, en soit, rien de nouveau, et surtout sur son hypocrisie alors même qu’il est promu comme idéal à atteindre dans l’imaginaire collectif. Car, par exemple, si l’openspace peut être dans certaines conditions un endroit agréable pour travailler, c’est surtout un espace d’économie pour un employeur, et de self-control pour ses employés. Et avec des phrases comme « Ne fais pas comme si tu travaillais pour une entreprise » ou le « You work, we care« , l’autrice nous rappelle que la promesse d’un cadre de travail épanouissant ne doit pas nous faire oublier que le salaire, le temps libre, et l’arrêt des mails passé une certaine heure devraient être des éléments non-négociables.
Le troisième rendez-vous dont je voulais vous parler est celui pris avec le film « Une guerre sans traces », réalisé par Manon Loizeau, également présente pour répondre aux questions du public à la fin de la projection. Ce film-documentaire nous emmène en Tchétchénie, vingt ans après que la journaliste y ait fait ses premiers pas, vingt ans après la guerre. On y voit Ramzan Kadirov, dictateur-président de la province russe, on y voit l’armée, les centres-commerciaux, la campagne à l’abandon. Dans ce décor post-soviétique, post-conflit, le portrait de la jeunesse est celui d’une génération qui a cessé de combattre, alors que les anciens combattants ont, eux, perdu espoir. Manon Loizeau insiste plus particulièrement sur la problématique de l’oubli, d’où l’idée de cette « guerre sans traces » reprise dans le titre de son film : dans un pays où la mémoire est un crime, c’est l’identité d’un peuple qui se morcelle. De plus en plus incapable de se penser, les engagements politiques se tarissent alors que l’avoir remplace l’être. La journaliste constate que le progrès économique a aliéné la pensée militante. Et si certains continuent d’hausser la voix, ces derniers se font rares, même parmi les anciennes connaissances de la réalisatrice. La question de l’homosexualité en Tchétchénie, qui a récemment émergé dans l’agenda médiatique, n’est qu’une fraction de la réalité tchétchène et est, de plus, loin d’être une nouveauté. Le film a en outre été réalisé clandestinement : plusieurs allers-retours ont été nécessaires, une équipe de tournage réduite, et des personnes qui ont risqué leur vie pour témoigner. Il est impossible de donner ici le quart du tiers de la quantité d’informations que j’ai reçues à l’issue de cette projection-rencontre, je dirais juste : ouaw.

La vie de bénévole
Comme je vous le disais précédemment, j’ai moi aussi donné un peu de mon temps et de mon énergie à l’organisation de ce festival en devenant bénévole, notamment sur les ateliers mis en place pour les enfants : « Les petits rendez-vous de juillet« . Trois de mes activités se sont malheureusement vues annulées car 1) le guide de la ville n’est pas venu 2) il n’y avait pas assez d’inscrits sur l’atelier « bâtisseurs de cathédrale » et 3) l’intervenante pour la sculpture sur argile avait oublié les clés de l’atelier. Petit oups. Rassurez-vous, je suis la seule à avoir été confrontée à cette situation, toutes les autres activités se sont bien déroulées. Pour le coup, mes talents d’animatrice hors-pair n’ont donc pas été réquisitionnés en vain, et tous ces aléas inhérents au direct ont été bien évidemment résolus à la minute à grand coup de réalisation de fresque et de combat ninja.
Mais nous n’allons pas parler ici des merveilleux bambins bien élevés qui, quand ils jouent à la salade de fruit, te chuchotent « jujube » ou « mangoustan » et non pas « pomme » et « fraise » comme cela te semblait logique à toi (ni le récit de moi-même en train de vérifier à quoi peuvent bien ressembler ces fruits aux drôles de noms sur internet juste après). Car la vie de bénévole n’a pas lieu que pendant les horaires de travail, au contraire, elle est présente tout au long du festival. C’est le matin, quand tu retrouves tes collègues en t-shirt rouge à 8h30 pour boire du café et tenter de manger tes tartines de confiture sans gober une guêpe au passage. C’est le midi, quand tu retrouves tes collègues en t-shirt rouge à 13h pour manger un bon plat type couscous-tajine préparé dans les plus grosses marmites que t’as jamais vu par une association de la communauté maghrébine locale. C’est le soir, quand à 19h tu vas boire une bière avec tes collègues en t-shirt rouge avant d’aller manger un énième plat trop bon et que tu te dis, quand même, on mange bien ici. C’est à la fin du festival, quand Patrick de Saint-Exupéry te sert ta troisième pinte pour le pot de départ, en te disant qu’il va peut-être se réorienter professionnellement.
Et là vous avez l’impression que tout se résume à la nourriture, à la bière, et aux t-shirts rouges, encore une fois. Et bien non.
Avant toute chose la vie de bénévole (mais c’est sûrement aussi valable pour les festivaliers) c’est (attention instant gnangnan mais je me permets car ça fait pas de mal de temps en temps) s’asseoir à un banc et engager la conversation avec un parfait inconnu qui aura mille histoires à te raconter le temps d’un café. Et puis se demander ce que chacun a vu la veille, et se re-raconter les histoires que d’autres nous ont partagés. Des fois, il suffit de demander à l’autre s’il est venu en car, et, par magie, trois jours plus tard on se promet de se revoir dès que c’est possible, ou au pire à Brest en février, parce que Brest en février ça c’est sûr. Alors on s’est levé tôt pendant ces trois jours, on a bien travaillé, on a bien profité, et puis ben, le plus important, c’est qu’on s’est fait plein de copains, et qu’un jour peut-être que ce seront eux qui interviendront dans ce genre d’événements. Et peut-être qu’ils serviront des bières à d’autres petits jeunes qui seront impressionnés qu’une personne avec autant d’histoires à raconter se laisse prendre au jeu du barman de la soirée. On verra ça dans quelques années, peut-être plus vite que l’on ne le croit. Et puis peut-être que c’est ça le journalisme vivant, et puis que c’est ça les histoires vraies. Et puis, voilà que je suis contaminée.

Autun, à l’année prochaine.
PS : en bonus, les scènes coupées au montage – car on a jamais le temps de tout dire
Bonjour Ingrid, merci pour ce compte-rendu, clair, net, très bien écrit et qui à levr l’équation sur les « petits malins » de Couthures ! Pour Brest je pense que tu faisais allusion à l’excellent Festival Longueur d’Ondes, sur la radio, du 1er au 4 février. tu seras la bienvenue! Vive Autun et les perspectives « ebdo » ! Yo !
Fañch
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Salutations Fañch,
Merci pour ton commentaire ça me fait très plaisir. Avec le recul, j’ai peut être été un peu dure avec les organisateurs des ateliers de couthures. Après tout, ils auraient pu avoir leur droit de réponse, malheureusement je n’ai pas pu m’y rendre cette année… Donc je laisse la question en suspens.
Tu as raison je faisais bien allusion au festival Longueurs d’Ondes, bien vu. On s’y croisera peut être alors !
Bonne soirée à toi,
Ingrid
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Salut à toi, tu pourras dire aux organisateurs de Longueur d’Ondes que j’ai du flair ! T’inquiéte, Couthures n’a pas besoin de droit de réponse. À eux de poser les choses honnêtement ! Pour Brest garde ton dimanche 4 février, si tu aimes la radio, tu aimeras la programmation de ce jour-là ! 😉 Bel été !
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